Gauche Unitaire: L’égalité, maintenant !












Voici un texte rédigé par Gauche Unitaire (parti membre du front de gauche).


L’égalité, maintenant !
Le projet de loi qui vise à donner aux couples du même sexe le droit de se marier est un bon et juste projet. Loin d'être une utopie, il ne fait qu'entériner des situations déjà existantes et partout présentes. Loin d'être une rupture, il ne vient pas briser l'image du couple ou de la famille, mais au contraire, l’enrichir en l'adaptant aux contours de la société moderne.
A l’heure où justement beaucoup de couples choisissent de vivre en union libre, d'aucuns trouvent surprenante cette revendication, le mariage étant parfois perçu comme une institution sociale surannée. Or l’enjeu est ailleurs.  Quoi qu'on pense de cette institution, une société démocratique se doit de garantir l'égalité et d'offrir les mêmes droits à tous. En ce sens, le mot d’ordre de « mariage pour tous », s’il a le mérite d’être court et percutant, n’est peut-être pas le plus approprié sur le fond, l’enjeu véritable étant
l’égalité des droits face au mariage et donc la liberté pour chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, de choisir de se marier… ou de ne pas se marier.


Après tout, qu'ont à perdre les opposants au « mariage pour tous » ? Rien, sinon la représentation d’une société qui n’existe pas ou plus, sinon la représentation de leur propre sexualité qu'ils estiment naturelle et donc normale. Et, c'est bien la marotte du noyau dur des leaders de l’opposition : l'homosexualité serait contre-nature. Ainsi, on naîtrait femme ou homme avec la conduite sociale qui va avec, une sorte de package livré dès notre venue au monde. Mais c'est encore méconnaître, à notre époque, que beaucoup de sociétés s'accommodent autrement de la représentation sociale du genre et des rôles qu'on assigne aux hommes et aux femmes. C’est une question avant tout culturelle et c'est bien ce que rappelait Eric Fassin dans une interview accordée au magazine  Têtu,  le 1er novembre 2011, alors qu'il était à ce moment question de mentionner le genre dans les manuels scolaires : « Le genre, au départ, c'est la construction sociale du sexe biologique. La différence des sexes n'est pas une donnée de nature immuable; elle n'existe que dans l'histoire. Ce que c'est qu'être un homme, ou une femme, ne peut donc être abstrait du contexte social. Le sexe est indissociable des normes sexuelles, qui, par définition, ne sont pas naturelles. Or, si les normes sont susceptibles de changer, cela veut dire qu'elles sont un enjeu politique. Ce sont les conséquences politiques de cette perspective qui mobilisent aujourd'hui les conservateurs. » Il en va de  même  aujourd’hui  avec  le  « mariage pour tous ». L’enjeu politique est majeur car l’opposition frontale des manifestants du 13 janvier dernier est sous-tendue par la défense d’un certain modèle familial. La lutte pour le droit au mariage des couples de même sexe s’inscrit ainsi dans une lutte plus globale contre un modèle familial unique, dominé par un père forcément protecteur, subvenant aux besoins de la famille et exerçant une autorité naturelle sur sa compagne qui, elle, consacre idéalement son temps à  élever leurs enfants. La mobilisation des opposants intervient comme une énième contestation de l’évolution des formes de la famille et de l’acquisition, souvent de haute lutte, de nouveaux droits pour les femmes depuis quatre décennies. Les opposants ont raison, il y a bien un enjeu de civilisation derrière cette modeste avancée juridique et sociale : il s’agit d’écorcher, à défaut d’en finir avec le modèle patriarcal et les rôles sociaux qui y sont associés.


Evidemment, la défense de la famille traditionnelle en tant que telle, on le comprend bien, ne serait pas très mobilisatrice et ne permettrait pas de déplacer 800 000 personnes. C'est bien pour élargir leur base sociale que les opposants au « mariage pour tous » en sont arrivés à se focaliser sur la question de la filiation, un angle qui permet de donner dans le pathétique, de jouer sur la peur, les affects et les émotions, d’agiter un sujet qui concerne tout le monde, sur lequel tout le monde a quelque chose à dire.
Pourquoi des homosexuels ne seraient-ils pas d'aussi bons parents que les autres  ? En quoi le fait d’être élevé par un père et une mère est-il une garantie ? Aucun couple ne peut s'ériger en modèle de parentalité tant la question de l'éducation d'un enfant est complexe et dépend en partie de facteurs qui dépassent largement la sphère familiale. De quoi un enfant a-t-il besoin en tout premier lieu, sinon de l'amour de son entourage et d'une situation stable ? Pourquoi des homosexuels ne pourraient-ils le garantir ? Si les opposants veulent trouver des motifs de difficultés dans la construction et l’épanouissement des enfants, qu’ils en cherchent autour d’eux, hors de la famille, dans la situation économique et sociale. On aimerait les voir aussi mobilisés sur la question des licenciements, du chômage, de la ségrégation scolaire, de la violence, du mal–logement et de la pauvreté, autant de violences sociales qui ravagent des familles entières et nuisent au développement des enfants.
Les familles homoparentales existent, comme existent des familles nucléaires traditionnelles,  monoparentales ou recomposées. On y trouve des enfants équilibrés, épanouis et d’autres qui le sont moins, comme dans toutes les familles. C’est également le constat du pédopsychiatre Serge Hefez qui déclarait dans Libération le 6 novembre 2012 : « De mon côté, si je suis, avec de nombreux autres confrères, favorable à cette ouverture [ouverture de l’accès à l’adoption et à la PMA aux couples de même sexe], c’est pour avoir reçu depuis une vingtaine d’années de très nombreux couples, enfants, adolescents vivant dans des contextes d’homoparentalité. [...] Les enfants que j’ai rencontrés ne me sont jamais apparus en danger, et les difficultés le plus souvent retrouvées sont celles d’affronter le regard des autres et l’hostilité ou l’incompréhension de leur environnement social. » Ce témoignage montre que ces enfants ne souffrent pas de vivre en infraction avec un prétendu modèle naturel mais avec une norme sociale et qu’ils peuvent ainsi être affectés par des regards malveillants ou stigmatisants. Des manifestations comme celle du 13 janvier dernier et le climat imposé par ses organisateurs ne font qu’accentuer ce sentiment de rejet et libèrent la parole homophobe. C’est ce que confirme Pablo Seban, un jeune homme élevé par deux mamans, qui lors des auditions à l'Assemblée Nationale, a déclaré avoir toujours très bien vécu sa situation familiale, maisreconnaît souffrir et particulièrement ces dernières semaines de  l'homophobie ambiante.

Ce questionnement sur le bien-être des enfants est tout à fait légitime et ne saurait être évacué du débat. Il mérite néanmoins d’être prolongé par une observation de la réalité : il existe actuellement des familles homoparentales mais qui, privées de reconnaissance, sont confrontées à des situations inextricables : que devient l'enfant lors du décès du parent officiel ? Que faire en cas de séparation pour protéger au mieux l'enfant ? Reconnaître la filiation des familles homoparentales et leur permettre comme toutes les autres familles, d’être  protégées par la loi permettra d’éviter ces situations pénibles à vivre.


L'adoption monoparentale est permise en France et n'a, à notre connaissance pas rencontré tant de réticences. Pourquoi dès lors s’opposer au droit à l’adoption pour les couples homosexuels au motif qu’un enfant ne peut être épanoui que s’il a une mère et un père ? C'est ce qui étonne particulièrement le très médiatique pédopsychiatre Marcel Rufo qui déclare : « En effet, il est curieux d'accepter l'adoption monoparentale et de s'opposer à l'adoption homoparentale sous prétexte que les enfants ne trouveraient pas chez les couples homosexuels les différences sexuées nécessaires à leur travail d'identification . »  Mais
l'adoption n'est pas l’objet central de la fronde des opposants au « mariage pour tous », pour la simple et bonne raison que le texte, une fois voté, serait inapplicable.  Très peu d'enfants sont adoptables en France, si bien que les couples hétérosexuels se tournent le plus souvent  vers  des  pays  étrangers  qui,  eux,  ne  permettent pas aux homosexuels d'adopter… Cet aspect de la loi serait donc simplement symbolique.
C'est donc la question de la PMA pour les couples de femmes qui cristallise toutes les peurs. Les opposants crient à la manipulation génétique, à l'avènement d'un monde où la conception serait coupée de la sexualité. Et nous voilà projetés dans les romans d'anticipation les plus effrayants ! Soyons sérieux : la PMA n'est pas nouvelle, les couples hétérosexuels y ont heureusement accès depuis fort longtemps sans que cela ne déclenche de telles polémiques. Et là encore, force est de constater que les situations existent avant la loi : des couples de femmes se rendent déjà dans d'autres pays européens, principalement en Belgique et en Espagne, dans l'espoir d'avoir un enfant. Cet unique recours, que les plus cyniques n'hésitent pas à nommer « tourisme procréatif », engendre de profondes inégalités puisque seuls les couples fortunés peuvent  y accéder, l'acte médical étant en effet très coûteux. Sans parler de toutes les  contraintes  imposées  par  les  traitements  qui obligent à s’absenter de son travail dans un cadre illégal.
Même s'ils s'en défendent, il y a un fond de ségrégation dans l'attitude des opposants au « mariage pour tous ». En manifestant le 13 janvier, ils s’opposaient tout simplement à la liberté de chacun de pouvoir construire sa vie comme il le désire. Ils stigmatisaient une partie de la population qui depuis plusieurs mois essaie de continuer à vivre sereinement, normalement.
Qui sont les formidables organisateurs de ce grand rassemblement du 13 janvier dernier ? Frigide Barjot ou Alain Escada, dont on connaît les liens avec l’extrêmedroite et les franges les plus réactionnaires de l’Église catholique, s’inscrivent dans une continuité qu’ils peinent à dissimuler. Daniel Borrillo, juriste à l'Université de Paris Ouest Nanterre, rappelle  dans un article paru dans  Libération  le  11  janvier  dernier,  que  les
opposants aux lois de progrès social sont les mêmes depuis des années. Les mêmes qui s'étaient déjà opposés au PACS, à la contraception et à l'IVG. Et surtout, voilà qui devrait intéresser ceux qui se défendent de toute homophobie, les mêmes qui s'étaient également opposés en 2004 aux projets de loi réprimant les propos homophobes ! Et Daniel Borrillo de citer en exemple les propos de Mgr Jean-Pierre Ricard qui jugeait ce projet de loi «inutile et dangereusement imprécis», en considérant de surcroît que «la volonté d'établir une surveillance et un contrôle du langage, notamment au nom de l’homosexualité, paraît contestable». Il y a des choses qui ne changent pas : les leaders de ce mouvement se trouvent parmi les autorités religieuses, les associations familiales catholiques et l’ensemble des forces conservatrices.




Ce qui est particulièrement stupéfiant dans l'attitude de ces opposants, c'est  leur assurance en leur propre choix de vie.  Prenons  pour  exemple  la  lettre  envoyée  par l'Association des Parents d'Elèves de l'Enseignement Libre  (association de parents d’élèves d’enseignement confessionnel). On peut y lire : « Le mariage, c'est l'union d'un homme et d'une femme qui s'engagent l'un envers l'autre, se promettent aide et assistance, et s'unissent pour accueillir et éduquer leurs enfants. Jusqu'à preuve du contraire, on n'a pas trouvé mieux pour élever un enfant qu'un couple formé d'un père et d'une mère qui s'aiment et qui s'engagent dans une vie commune pour le bien de l'enfant ». C'est un point de vue qui n'a rien d'étonnant mais qui peut laisser dubitatif : on connaît tous des parents qui tout hétérosexuels qu'ils soient, éprouvent des difficultés à éduquer leurs enfants. La suite de la lettre est plus surprenante : « L'union de deux personnes de même sexe n'est évidemment pas de même nature, ne répond pas aux mêmes objectifs et ne peut donc recevoir le même nom ni la même reconnaissance par l'Etat ». Une telle phrase relève de la confusion entre le mariage civil et la conception catholique du mariage, et donc de la manipulation idéologique :  à  quels  « objectifs » pourrait prétendre l'union de deux personnes du même sexe ? Si c'est encore une fois la question de la filiation qui est en embuscade, nous sommes  désolés  de  rappeler  à  cette  association  que  certains  couples mariés ou non hétérosexuels n'ont pas de désir d'enfant et que certains couples homosexuels ont des désirs d'enfant. Ce n'est pas un avis, c'est un fait et les lois doivent permettre le respect de l'intimité de chacun.

Huit pays européens autorisent le mariage pour les couples du même sexe : la Belgique, le Danemark, l'Espagne, l'Islande,  la  Norvège,  le  Pays-Bas, le Portugal et la Suède. Sur d’autres continents, des pays pourtant réputés extrêmement catholiques comme l'Argentine le permettent désormais.  56 % des Français sont favorables au mariage homosexuel (sondage LH2 pour Le Nouvel Observateur réalisé vendredi 11 et samedi 12 janvier 2013), de même que 76 % des jeunes de 18 à 24 ans (sondage CSA pour BFM TV
publié 14/12/12). Le premier bébé français né en 2013 en métropole a deux mamans. Pas de doute, la société évolue et des lois doivent venir encadrer ces nouveaux modes de vie afin de protéger les conjoints et leurs enfants.
Pour soutenir cette loi de progrès social et réduire ses opposants à leur plus simple expression, celle du refus de l’égalité, il est donc essentiel de se mobiliser le 27 janvier prochain à Paris et, au-delà des manifestations, de convaincre amis, familles, collègues et voisins. Soyons-en certains, alors que la frange la plus conservatrice de la société française est pleinement mobilisée et que la question est l’occasion pour une large partie de la droite de  jetter  les  fondations  d’un  rapprochement  avec  l’extrême-droite,  le moindre recul du gouvernement sur cette loi ouvrira la voie à d’autres reculs et régressions.


Bora YILMAZ, 33 ans,
Professeur de Sciences économiques et sociales



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